Les premiers de la classe
Culture V
04 février 2024 par Aymeric de Clouet

Les premiers de la classe

Les premiers crus classés sont-ils réellement les meilleurs vins de Bordeaux ?

Être le premier.  Une ambition et un chemin, parfois récompensé, un prestige assuré, et une obligation d’excellence. Mais aussi la rançon de la gloire : la contrefaçon, le vol, le commerce parallèle.

Qu’est-ce qu’un premier ? Qu’est-ce qu’un classé ? La réponse paraît évidente, et pourtant, elle ne le fut jamais et ne l’est toujours pas. 

 

 

Napoléon III, instigateur du classement de 1855

 

Observons le grand ancêtre, le classement de 1855 : l’usage, l’observation des prix et la renommée ont servi de base au choix des premiers qui furent au nombre de quatre : Châteaux Lafite, Margaux, Latour et Haut-Brion, qui bien que non médocain bénéficiait d’une notoriété telle qu’il fallut l’inclure. 

Le sujet n’étant pas les classements en général, mais les premiers crus, nous ne parlerons pas des spécificités des critères mais remarquerons toutefois que ce classement de 1855, sans hypocrisie, notait les autres crus « seconds crus classés, « troisièmes crus classés », etc. avec également de nombreuses propriétés en « cru bourgeois », dès 1858. 

Le Sauternes, à l’image des modes de consommation de l’époque, bénéficie des meilleures notes du « 1855 ». Seul premier cru supérieur, le château d’Yquem trône au sommet, suivi par une kyrielle d’autres premiers crus : La Tour Blanche, Peyraguey, Vigneau, Suduiraut, Coutet, Climens, Bayle (Guiraud), Rieussec, Rabaud.

La classification des Saint-Émilion a longtemps été de pure convention, jusqu’à son officialisation en 1955, avec douze premiers crus classés (deux en « A », Ausone et Cheval-Blanc, et dix en « B », Beauséjour, Belair, Canon, Clos Fourtet, Figeac, La Gaffelière-Naudes, Magdelaine, Pavie, Trottevieille).

 

Les vins de Graves ont eux aussi créé leur classement en 1953, sans oser hiérarchiser les crus entre eux, même si La Mission-Haut-Brion est largement considéré comme « premier », seul classement comportant également des blancs secs. 

 

Enfin, le Pomerol, contrairement à une légende tenace, possédait un classement, abandonné en 1950. Comme à Sauternes ou dans une émission de télévision pour enfants nostalgiques, tout le monde est premier ! mais avec des nuances :

 

1er Grand Cru 

Château Pétrus (SCI du château Pétrus, Arnaud propriétaire)

Grand 1er cru 

Vieux Château Certan (M. Georges Thienpont, propriétaire)

Château L’Évangile (Mme Veuve Paul Ducasse, propriétaire)

1er cru 

Château La Conseillante (Héritiers Louis Nicolas)

Château Lafleur (M. André Robin) 

Château Certan (M. Badard)           

Château Petit-Village (M. Fernand Ginestet) 

Château Trotanoy (M. Savinien Giraud)

Château Latour-Pomerol (réuni au clos des Grandes-Vignes, Mme Edmond Loubat) 

Château Guillot (Mme B. Larquey) 

Clos l’Église (M. J. Rouchut) 

Château La Grave Trigant de Boisset (Mme Vve A. Dubourg) 

Château La Fleur-Pétrus (F. Pineau) 

Château de Beauregard (M. Clauzel) 

Château Nénin (M. Despujol) 

Château Gazin (M. Louis Soualle) 

Château Le Gay (M. André Robin) 

Cru Lagrange

Clos L’Église-Clinet (J. Rabier) 

Domaine de l’Église

Ce classement ne serait guère différent aujourd’hui, s’il devait avoir lieu, mais tous ne seraient pas « premier ». 

 

 

 

Les premiers sont-ils définitivement méritants ? La réponse est évidemment négative. Si le terroir des premiers est censé être exceptionnel, certains châteaux ont connu des baisses par périodes, mais ont vite retrouvé leur lustre avec un nouveau propriétaire ou un nouveau directeur, sans avoir été déclassés.

Inversement, le château Mouton-Rothschild a fini par obtenir le Graal en Médoc, et des châteaux comme Pavie et Figeac sont devenus classés « A » à Saint-Émilion, et démontrent sur les millésimes récents toute la pertinence de ce changement. La plus grande performance reste le château Angélus, sous la houlette d’Hubert de Boüard, qui est passé du niveau « cru classé » à « premier cru classé A », dénomination qu’il a depuis quitté, comme les bonnes habitudes instituées par son emblématique dirigeant. 

Quant à Pomerol, toute l’appellation a renoncé au concept même de classement en 1950, curieuse décision. Cela n’empêche par le marché de faire son échelle de prix, qui serait le support d’une hypothétique classification. L’absence de classement actuel ou passé n’empêche pas Le Pin d’atteindre des sommets !

Être le premier, c’est promettre une régularité et une émotion, deux éléments antinomiques. C’est pourtant ce que réussissent aujourd’hui les premiers de Bordeaux et assimilés. Avec cette capacité, généralisée, de posséder une longévité, une capacité de vieillissement au-dessus du commun, assez proche de l’être humain : trop jeune en dessous de vingt ans, à parfaite maturité à quarante, et le déclin plus ou moins rapide jusqu’à cent ans… avec évidemment une capacité quasiment double pour les liquoreux, le sucre étant le meilleur antioxydant pour le vin. 

 

Acheter un premier cru ancien, c’est aussi accéder à un monde de saveurs nouvelles, à condition de savoir le préparer : beaucoup de dépôt sera présent, il faut que la bouteille soit mise debout la veille, elle doit ensuite être décantée sans crainte, afin de s’aérer avant la dégustation, à l’exception du millésime 1978 qui a une fâcheuse tendance à s’évanouir en quelques minutes. 

 

Le vin doit être accompagné en délicatesse, d’un plat de viande, le moins épicé possible, en évitant les légumes qui apportent des arômes végétaux sans intérêt pour le rouge. Le fromage n’est guère plus utile, seules certaines pâtes pressées vieillies soutiennent le vin rouge, les autres variétés s’accommoderont mieux d’un blanc. 

 

Même les premiers ont leur délicatesse !

 

 


 
Aymeric de Clouet

Raconté par Aymeric de Clouet

Expert de renom en vins & spiritueux et fin amateur de gastronomie, Aymeric cultive sa passion et son savoir oenopédique depuis le plus jeune âge. Il faut dire qu'il a été bercé dans le monde du vin et des enchères. Sa plume acérée nous livre ses lumières et nous délivre de l'ombre : la connaissance est une chose qui n'est rien sans le discernement. Ne comptez donc pas sur lui pour ravaler ses mots, si on a la chance d'avoir une opinion, c'est pour la faire savoir. 

 

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